Présentation
Depuis que l’approche comportementale est devenue dominante en psychiatrie, la notion d’addiction a pris une ampleur considérable. Une nouvelle discipline a d’ailleurs été créée – l’addictologie – pour désigner un domaine de recherches visant à appréhender l’ensemble des comportements humains. On parlait autrefois de drogues ou de toxicomanie, on parle désormais de dépendance : alcoolisme, tabagisme, boulimie, anorexie. Mais du coup, on s’est mis à désigner comme des pathologies des pratiques qui n’en relèvent pas et pour lesquelles on a inventé des mots dignes de la médecine de Molière : sexomanie, dépendance aux écrans et aux jeux vidéo, collectionnisme, oniomanie (fièvre acheteuse), bigorexie (manie du sport), tanorexie (bronzomanie), etc. Pourquoi ne pas ajouter à cet ensemble l’addiction à la lecture, à l’écriture ou à la culture ? Et pourquoine dirait-on pas que le médecin addictologue est lui-même atteint d’une compulsion à dépister des addictions qui n’en sont pas ? Tout usage d’un plaisir risque désormais de passer pour une véritable maladie mentale que l’on traite d’ailleurs par la prise de drogues (psychotropes). Il y a donc un « archipel des dépendances » à l’intérieur duquel se trouvent réunies de véritables pratiques de destruction de soi et des autres et des manières de vivre. Mais où se trouve la frontière entre une volonté forcenée de se nuire et la recherche d’une « autre existence », caractérisée par des excès ou des bizarreries qui résistent à la normalisation sans pour autant nuire à autrui ? On se demandera donc comment nos sociétés individualistes et libérales ont pu mettre en place un système sécuritaire visant à restreindre l’expression transgressive d’une liberté singulière qui, fût-elle dangereuse pour le sujet, n’entrave pas forcément l’exercice des autres libertés.